GREAT NORTH SURF EXPEDITION Nº 6

On prend donc le ferry, gentiment accompagnés par Leigh et Kip qui nous ont accueilli ces deux derniers comme des rois. Nos sacs sont bien allégés, grâce aux 20 kilos qu'on a expédié par la poste au total : quelques affaires qu'on juge finalement non essentielles direction la France et tout ce dont on aura pas besoin avant notre descente en packraft de la Copper River direction Glennallen. 

Au programme de la journée,  9 heures de ferry puis on trouvera de quoi camper aux alentours d'Homer. Ayant regardé les prévisions météo, on sait qu'il faut s'attendre à des bons creux, ce qui enchanté Cyril qui est sujet au mal de mer... On ne sera pas déçu : des creux de quelques mètres du à un fort vent à mi chemin entre Kodiak et Homer qui nous obligent à nous cramponner aux rambardes lorsqu'on se déplace dans le bateaux ! 

On arrive finalement au port d'Homer vers 21h30, avec deux heures devant nous avant l'obscurité pour trouver de quoi dormir. Pour rejoindre Homer il nous faut marcher le long de la jetée pendant environ 6km, soit une grosse heure. Le camping est autorisé moyennant 10$ / tente sur plusieurs espaces le long de la mer. On se pose sur le dernier, le plus proche d'Homer, juste avant le coucher du soleil, plutôt que de galérer à trouver un spot où faire du camping sauvage à l'arrache. Au moins, on passe une nuit tranquille avant de commencer les hostilités. 

Le lendemain matin au réveil, c'est crachin breton qui se transformera petit à petit en pluie drue, avec du vent. On marche le long de la route qui longe la baie de Kachemak direction l'est. Notre objectif, c'est de rejoindre le fond de la baie où se situe l'embouchure de la Fox River puis de remonter à travers la péninsule du Kenai jusqu'à Hope. Mais après quelques heures sur la route on ne supporte plus le bruit des voitures et on décide de mettre les packrafts à l'eau pour pagayer en direction de la Fox River. La météo est favorable, et on a un fort vent de dos ce que devrait nous permettre de gagner du temps sur la marche  (et nos sacs font quand même 25 kg,  même avec tout ce qu'on a envoyé). Ce qu'on avait sous estimé, ce sont les vagues qui nous arrive de 3/4 arrière. Il faut donc constamment regarder par dessus son épaule et ajuster l'alignement de son packraft pour éviter de se faire retourner. Mais ce qui devait arriver arriva : une vague plus grosse que les autres surprend Cyril qui a beau mettre un gros coup de pagaie pour tenter d'orienter le packraft de manière à prendre la vague de face, en une demi seconde il se retrouve la tête sous l'eau. Heureusement il refait surface rapidement, et par chance à ce moment là on naviguait proche de la côte, ce qui lui permet de regagner la plage sans difficulté. Il faut maintenant prendre une décision, avant qu'il fasse une hypothermie : se changer avec les affaires sèches qui sont à l'abri dans ses sacs étanches et allumer un feu, ou se remettre à pagayer en espérant que le soleil continue de faire des apparitions. La plage n'étant que très peu large, et la marée montante, on décide de repartir car on aurait été vite coincés contre la falaise. On pagaie deux heures sans s'arrêter, et même si Cyril à froid, il tient le coup. On repère au loin une pointe où le campement semble possible et on met le cap dessus pour y passer la nuit, et surtout se réchauffer. Mais là encore, du fait qu'on se rapproche de la plage, les vagues déferlent et il faut redoubler d'attention. Alors qu'il est poussé par une vague et surf dessus, l'avant du packraft d'Arnaud se bloque sur un rocher, le faisant pivoter sur le côté,  et la vague suivante finit le travail : un bain glacial chacun ! On débarque en vitesse, se change avec nos affaires sèches en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et on allume un feu. Heureusement grâce au vent nos affaires seront vite sèches. 

Le lendemain, on repart dès que la marée le permet (à marée basse il y a une grande étendue de boue, appelé "mud flat", qui nous interdit l'accès à la mer). Une fois arrivés au bout de la baie, on remballe les packrafts et on marche en direction de Tustemena Lake, en empruntant un trail le long de la Fox River. 

On découvre là une réalité qu'on avait pas encore eu à affronter : les moustiques... un nuage entier ne tarde pas à se former sur chacun de nous dès qu'on s'éloigne de l'air marin et le temps de sortir le filet qu'on se passe sur la tête, on a déjà une dizaine de piqûres chacun. Ce n'est pas dramatique, mais c'est loin d'être agréable !  On laissera vite tomber le filet car les moustiques s'y infiltrent  (et là ça devient encore pire que de ne rien avoir) pour y préférer le produit anti-moustique. On campe le soir non loin de la rivière  (mais pas trop quand même, les ours rôdent).

 

Le lendemain on continue le long de la rivière sur le trail qui, au fur et à mesure qu'on avance, est de plus en plus accidenté. Et pour cause : on passe devant les dernières cabanes pour s'enfoncer de plus en plus profondément dans la nature, jusqu'à un moment où le trail s'arrête net. C'est là que l'aventure commence ! C'est aussi là où notre vitesse de progression prend un coup... il faut se frayer un chemin comme on peut, entre les arbres en travers, les marécages, les buissons, tout en conservant le cap. On fait environ 200 mètres par heure, ce qui nous pousse à changer de stratégie : en préparant notre itinéraire, on s'était dit que si la progression le long de la rivière était trop dur, on rejoindrait la ligne de neige des montagnes et on continuerait à travers le glacier. On procède donc à la traversée de la rivière avant de poser le camp sur la plage de galets pour la nuit. Pour ce faire, Cyril packraft à travers le courant, corde en main. Chacun sur une berge, on se fait ensuite passer le packraft chargé de nos sacs, puis d'Arnaud grâce à la corde. Pratique pour traverser les pieds au sec ! 

Mardi matin, on se lève de bonne heure en prévision d'une grosse journée d'effort. Mais encore une fois, ça dépasse nos prévisions ! On commence tranquillement à travers une forêt plutôt dense mais on avance relativement bien : 2 km en 2 heures. On arrive ensuite à une rivière dont on ne peut pas voir la profondeur et donc non franchissable à pieds. Il y a des arbres en travers mais aucun qui ne nous permette de traverser totalement. On décide donc de faire bonne usage de notre hache !  En une demi heure l'affaire est pliée et on peut recommencer à avancer. 

 

Et c'est là que ça se gâte : entre nous et les flancs de la montagne qu'on vise se trouve un marécage de plusieurs kilomètres. On a d'abord de l'eau au chevilles, puis aux genoux,  puis à la taille... ça tire sur les cuisses et ça nous vrilles les genoux. En plus de ça l'eau est glaciale ! On a hâte d'arriver au pied de la montagne  (mais ça c'est parce qu'on ne sait pas encore ce qui nous y attend). 

On finit par en venir à bout et seul un torrent nous sépare maintenant de la montagne dont les pentes sont vertes de sapins. Cyril traverse à l'aise,  mais quand Arnaud s'appuie sur une branche pour commencer à traverser, elle se casse sèchement  (évidemment) et c'est le bain glacial (l'eau descend tout droit des glaciers au dessus) ! En plus d'un jurons, c'est le cri de détresse : "mon bâton !!!". Heureusement que Cyril était bien placé et parvient à le récupérer. Reste plus qu'à essorer les affaires, constater l'infiltration d'eau dans le sac (minime, ouf !) et repartir pour lutter contre le froid. 

 

On arrive rapidement dans un cul-de-sac, avec au bout une cascade d'où provient le torrent. Heureusement il y a une brèche dans les falaises et on peut grimper sans trop de risques (c'est à dire sans avoir besoin de s'encorder même si on reste prudents). Petite pensée "si jamais" tout de même lorsque que Cyril monte en éclaireur : "Fais gaffe l'helico vient pas nous chercher là avec tous ces arbres"... 

Sur la crête, c'est un nouvel obstacle qui nous sépare de la ligne de neige : des arbres morts enchevêtrés dans tous les sens, et tous à des hauteurs différentes, des buissons pleins d'épines  (Devil's Club), la falaise sur notre droite avec une gorge dans laquelle coule le torrent qu'on remonte), les moustiques, et nos genoux qui nous disent stop suite à la traversée des marécages. Ça commence à devenir frustrant, et Cyril fait bon usage de ses cordes vocales. Quand à notre progression en terme de kilométrage, on ne regarde même plus le GPS... 1.5km en 7 heures. En revanche ça n'a pas l'air de gêner les ours, il ne se passe pas 10 minutes sans qu'on n'en voit des excréments plus ou moins récents. La civilisation semble bien loin et il faudra accrocher les sacs de nourriture haut dans les arbres au camp. 

Après une journée de 12h (et 4km parcourus pour 200m de dénivelé, youyou!), on jette l'éponge et on pose le camp. De toute façon avec nos genoux il faut vraiment qu'on s'arrête et on verra si demain matin on sent que ça pourrait le faire pour monter jusqu'à la neige qui nous nargue 2 km et 300m de dénivelé plus haut. 

Mais le lendemain quand on se réveil il faut se rendre à l'évidence, même si on parvient à rejoindre la ligne de neige, elle ne nous permet que d'avancer sur 5km au nord, puis il faudra redescendre dans la vallée pour traverser la FoxRiver puis remonter une nouvelle fois et parcourir les 70km qui nous séparent de Copper Landing. Avec nos genoux on ne pourra pas aller vite et les réserves de nourriture ne seront pas suffisantes. Trop risqué de compter sur la pêche au saumon dont la saison commence à peine. On est donc contraints au demi-tour. C'est rageant mais on ne veut pas compromettre les 1500km et 5 mois restants de notre trip ! On planifie donc de rallier Seward d'où on prendra un trail à travers le nord de la péninsule pour récupérer notre itinéraire au niveau de Cooper Landing.  

Après cette lourde décision de faire demi-tour, lever 6am le lendemain matin, et on attaque cette violente Alaskan jungle. Des heures de descente hard-core entremêlées de coups de gueule intenses à faire fuir un ours. Chose faite avec brio. Dans une région habituellement infectée d'ours noirs, UN seul animal croisé : Un joli p'tit écureuil courant sur une branche. Petite douceur au milieu de ces épines, branches, trous, marécages ou encore torrents d'eau gelée. 4 heures d'enfer, il est temps de faire une pose beurre de cacahuète et de faire un point sur notre itinéraire. 2km en 6 heures de marche. Propre. Et déprimant.

À peine re-motivé grâce à ce dégueulasse peanut butter (on s'en est vite lassé) on se retrouve à nouveau dans ce satané marécage longeant une "rivière" de vase. Au bout, on décide de gonfler les packrafts, quitte à devoir chevaucher tous les rondins de bois morts nous barrant la route. Deux ont suffit pour nous décourager. On remballe.

Au bord de la rupture, la chance tourne enfin en notre faveur : un sentier! On n'en croyait pas nos yeux. Un sentier au milieu de nul part, au bord de ce ruisseau, qui plus est entretenu! Sûrement un trail pour pêcheur y accédant en bateau. Il nous en fallait pas moins pour nous remettre en marche ressourcés psychologiquement.

C'est à la toute fin de celui-ci qu'on prend la décision de se remettre à packrafter jusqu'à l'entrée du premier village, habiter en communauté par une dizaine de russes Mormons (enfin c'est ce qu'on a compris). Après 13 heures pil d'efforts, on pose enfin le campement.

Dernière sardine plantée, au moment d'entamer habituellement notre feux pour faire  bouillir l'eau de nos nouilles chinoise épicées de m**** (ça aussi on s'en est vite lassés), une rencontre imprévue : un vieillard barbu tout droit sorti de nul part nous prend à parti à notre plus grande surprise (oui 4 jours sans croiser un humain autre que nous). Vêtu d'une chemise de bûcheron, enfouit sous un nuage de moustiques, l'homme se présente poliment en nous proposant du "cheap alcohol" (un alcool sans goût, sûrement frelaté, à un prix à défier toute concurrence). S'est suivie une conversation passionnante sur sa vie isolée de toute civilisation, puisque Ken vit dans la dernière "cabin" au bout du trail que nous avons emprunté quelques jours auparavant. Un personnage touchant et malheureusement seul, comme la plupart de ces gens vivant dans ces cabanes au milieu de la nature profonde en Alaska.

Un nuit courte, mais requinquante, nous remet d'aplomb, et on rejoint Homer en pleine forme afin de vous donner des news et vous offrir quelques clichés de notre semaine de galère (oui, ça nous arrive de penser à vous). Prochaine étape : la traversée de la péninsule du Kenai pendant de semaine, par un autre itinéraire bien sûr, jusqu'à Alyeska. Cheers mates!

 

Arnaud & Cyril

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